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Six œuvres d'art classées ont disparu du château de Franquières en 1959.
Vous pouvez peut-être nous aider à retrouver leur trace.

Franquières. Œuvres d'art disparues

La cheminée de Bucher

Pierre Bucher est un personnage très important dans l'histoire du Dauphiné : né en 1510, conseiller de la ville, substitut du procureur en 1539, professeur de droit à l'Université en 1542, doyen en 1546, procureur général en 1553, il était également architecte et aurait dessiné la façade la plus ancienne du palais du Parlement.

Il avait sculpté pour son hôtel, rue Brocherie, vers 1540, une cheminée monumentale en pierre du Fontanil. En visite chez lui à Grenoble, Henri IV aurait acheté cette cheminée pour son palais de Fontainebleau ; mais lorsque, quelques temps après la vente, les envoyés du roi se sont présentés pour l'enlever, elle avait disparue ; les héritiers de Bucher avaient caché la cheminée derrière une cloison. Elle ne fut redécouverte qu'en 1840 et achetée par Justin Mac Carthy qui la fit installer dans son château de Franquières, où on a pu l'admirer jusqu'en 1959.
Ci-contre, la cheminée de profil

Sur cette cheminée, était gravé le monogramme de l'artiste : PBS entrelacées, Pierre Bucher sculpsit. Le même monogramme figure sur le palais du Parlement à Grenoble. Sur la hotte, est plaqué un médaillon – une copie en plâtre – représentant l'empereur romain Justinien.

Autre caractéristique : la plaque foyère représentait les armoiries des Mac Carthy (visibles sur la photo ci-dessous). C'est donc une indication sur la propension de cet aristocrate à remplacer par les siennes les armes d'origine. De même, il a remplacé par les siennes les armoiries des Franquières au fronton de la porte du château de Biviers, où elles figurent encore (ci-contre) et il est très probable qu'il en était de même au palais de la Connétable à Grenoble, dit hôtel de Franquières, possédé pendant deux siècles par les Franquières, puis par Mac Carthy, leur héritier. Sa devise principale était Fortis, ferox et celer.

L'intérêt pour cette cheminée s'accroît encore quand on s'aperçoit qu'elle est sans doute à l'origine de la devise olympique. De celle des Mac Carthy à citius, altius, fortius, il n'y a que quelques pas : ordre permuté, mise des adjectifs au comparatif, remplacement de ferox par altis, haut, autrement plus noble. Mais y a-t-il un lien historique entre ces deux devises ?

C'est le dominicain Henri Didon qui a créé la devise olympique en 1891. Il est né en 1840 au Touvet, à 25 km de Biviers. A 10 ans, il entrait comme pensionnaire au petit séminaire de Grenoble, situé alors au Rondeau (c'est l'actuel collège Vaucanson). Vingt ans auparavant, Mac Carthy avait vendu l'hôtel de Franquières à l'évêque de Grenoble, Claude Simon, qui fera de ce palais prestigieux son petit séminaire pendant plus de 10 ans. Henri Didon n'y a pas été hébergé, mais comment n'en aurait-il pas entendu parler ? ... Nos anciens parlent encore avec émotion de l'escalier monumental, du salon doré devenu la classe des philosophes et du salon rouge, réservé aux grandes réceptions. Lesdiguières lui-même ornait de son portrait en pied l'immense pièce qui servait de salle d'études ... (Henry Rousset, les Jeux olympiques au Rondeau, éd. Baratier, 1894). Or les armoiries et la devise des Mac Cathy figuraient certainement au-dessus de la porte d'entrée de ce palais.

Le dominicain
Henri Didon
Autre remarque. Albert de Vignet, fils de la propriétaire du château de Franquières après la ruine de Mac Carthy, avait 3 ans de plus que Didon et il faisait ses études à Grenoble, sans qu'on sache où, mais sûrement dans un collège catholique. En outre, il était moins brillant que Didon qui, lui, était en avance sur son âge. Il n'est guère douteux que ces deux élèves se soient rencontrés et que l'aristocrate Vignet ait invité son collègue Didon à venir voir la fameuse cheminée à Franquières, d'autant plus que Biviers est sur le trajet du Touvet et qu'on sait que Didon retournait 3 ou 4 fois par an chez ses parents.

Il est trop peu connu que le petit séminaire du Rondeau est à l'origine des Jeux olympiques. Dès 1832, ses élèves avaient décidé d'occuper la journée du 29 février par des jeux calqués sur ceux de la Grèce antique. Didon y a participé et a même remporté beaucoup d'épreuves. Lorsqu'en 1890 – après une vie quelque peu mouvementée pour un moine – il a été nommé directeur du collège Albert-le-Grand à Arcueil, il y a introduit les jeux olympiques du Rondeau, puis les a étendus à d'autres écoles religieuses autour de Paris, puis à des écoles laïques ... La rencontre et l'amitié avec de Coubertin fera le reste, mais on a trop oublié aujourd'hui le rôle majeur du père Didon dans la remise en honneur des jeux olympiques. Il a participé à l'organisation des jeux d'Athènes en 1896 et c'est lui qui avait donné à ses élèves en 1891 la devise citius, altius, fortius.

Voilà une partie de tout ce qu'évoque pour nous cette cheminée [1]. On suit sa trace pendant plus de quatre siècles. A Franquières, elle a résisté à la ruine de Mac Carty et, par trois fois, à la vente château. Elle disparaît précisément en plein 20e siècle et reste introuvable, malgré tous les moyens techniques dont ce siècle a disposé. La cheminée est probablement partie à l'étranger. Ce sera peut-être un acteur des Jeux olympiques qui, au cours de ses nombreux voyages, aura la chance de la retrouver.

Les tableaux à la Pater

Les inspecteurs des Bâtiments de France décrivent ces tableaux de grandes dimensions dans leur rapport de classement en 1945 et discutent de leur paternité, qu'ils attribuent plutôt à des élèves de Pater qu'au maître lui-même. Pater (Valenciennes 1695, Paris 1736), seul élève de Watteau, avait illustré le Roman comique de Scarron avec des gravures de petites dimensions (29×38 cm). Des élèves de Pater, comme Antoine Pesne et Philippe VanLoo, avaient été invités par l'empereur allemand Frédéric II pour décorer ses châteaux prussiens – comme celui de Königsberg – avec des toiles de grandes dimensions. On sait également que Napoléon, au cours de ses campagnes dans les pays voisins, avait saisi et emporté en France certaines de ces œuvres d'art.

On pense que Mac Carthy (dont le père avait été page de Louis XVI avant de s'exiler avec la famille des Bourbons) a pu acheter cinq de ces toiles monumentales vers 1840 à Gérard de Cayeux, directeur des musées royaux sous Louis-Philippe.

Quelques très mauvaises photos nous en sont parvenues. Ces toiles sont ainsi décrites par les inspecteurs des BdF.

1 - Arrivée de la Troupe comique dans la ville du Mans. Le chariot des comédiens empli de hardes sur lesquelles une comédienne est juchée, fait son entrée au milieu des badauds. Pittoresque décor de façades classiques, d'arcs de triomphe et de pignons médiévaux (largeur 5,75 m ; hauteur 3,20 m)

2 - Arrivée de l'opérateur de l'Hostellerie. Contrastant avec le grouillement de foule et le mouvement de la suite, cette toile offre à l'œil un ravissant repos avec ses cinq personnages dont la gracieuse amazone montée sur un beau cheval argenté. Décor végétal au premier plan. Fonds vaporeux à la Watteau (largeur 1,4 m ; hauteur 3,2 m).         [photo ci-contre ?]

3 - Disgrâce de Ragotin. Délicieuse scène pleine de malice et de vie où l'influence de Watteau rencontre celle des Hollandais (les buveurs du premier plan) (largeur 5,35 m ; hauteur 3,2 m).

4 - Nouvelle disgrâce de Ragotin dans l'Hostellerie
(1,4 m x 3 m).

5 - Discours du capitaine Bohème à Ragotin (1,25 m x 3 m).

Deux autres toiles ornaient le château de Franquières en 1945. Les inspecteurs les identifient comme des peintures réalisées à la fin du 19e siècle, aux frais des Dubourg, à la manière des toiles précédentes et copiées également sur des gravures de Pater. On peut les appeler des pastiches. Leur titre étaient : Grande bataille dans le tripot et Malheurs de Ragotin dans la chambre des comédiennes.


Ces toiles, comme la cheminée, ont disparu en 1959, après la vente du château, sans que les Bâtiments de France en soient informés, alors que le contrat de classement comportait cette clause. Nous ne cherchons pas à les récupérer, mais seulement à savoir où elles sont et, si possible, en obtenir de bonnes photos. Rappelons que toutes ces œuvres sont de grandes dimensions et qu'elles ne peuvent pas être installées dans un HLM ou une maison de campagne. L'œuvre des Villages d'enfants, propriétaire actuel, n'est pour rien dans cette disparition.


1. On doit faire remarquer que, malgré ses mérites, le père Didon a commis une énorme faute lors de l'affaire Dreyfus en lançant un véritable appel à l'émeute, au terrorisme, à l'assassinat des avocats de l'innocent : Lorsque la persuasion a échoué, lorsque l'amour a été impuissant, il faut s'armer de la force coercitive, brandir le glaive, terroriser, couper les têtes... (discours de remise des prix à Arcueil, prononcé devant l'état-major de l'armée le 16 juillet 1898 ; on dit que Didon aurait plus tard regretté ces paroles).           Retour au texte


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